[Flashback] Renouvellement du pacte Swain-Akuro (vu par Sys)

C'était un grand jour. Il fallait mettre nos tenues du dimanche. Posté devant le miroir, j'essayais de faire un fichus noeud sur un fichu bout de tissus dont je ne comprendrais définitivement jamais l'utilité.

" Sys ? T'es prêt ? Tu as besoin d'aide pour ta cravate ?
- Non Kyes, arrête de me paterner j'suis plus un gosse ! "

Je fronçais les sourcils et m'acharnais à essayer de faire ce foutu noeud... Plutôt mourir que de demander de l'aide à mon frère ! Cependant, il fallait bien l'admettre, je ne savais pas faire ce truc...

T'es vraiment pas doué.
Regarde le nul !
Gamin !
Il a encore besoin de son grand frère le petit bébé !
Tu vas quand même pas te laisser faire..

Tandis que l'aîné s'approchait pour m'aider, je retirais d'un geste vif la cravate pour la jeter par terre. Cela le fit sursauter et je sentais son regard plein de peine se poser sur ma personne.

" Non. T'sais quoi ? Pas de cravate, ils vont pas en faire une histoire ! "

Disais-je d'un ton énervé avant de regarder Kyes qui avait toujours ces yeux pleins d'inquiétude ou de je ne sais quoi qui ne me plaisait absolument pas. Je passais une main dans mes cheveux bruns foncés et jetais un rapide coup d'oeil dans le miroir. Contrôles toi Sys... Tout ce que tu vois... C'est dans ta tête... me répétais-je en boucle dans ma tête en me regardant, ce reflet factice laid et couvert de sang. Comme pour m'en assurer, je mis une main au niveau de mon ventre. Rien de liquide, pas de sang. C'était dans ma tête. Mon regard se tournait ensuite à nouveau vers le grand qui restait planté là comme un con.

" Restes pas là comme un con va aider l'autre gosse ! "

Sur mes mots il partait aider Xennos. Je le regardais partir avant de reporter toute mon attention sur le miroir.

" Tenez vous tranquilles... C'est un jour important... Je veux pas vous entendre. "

Marmonnais-je.

*******

Nous arrivions devant cet immense manoir à l'occidentale. Sortant de la voiture à moitié délabrée de mon père, je m'avançais doucement vers le portail, bientôt rejoins par le reste de la famille. Il n'y avait que papa, moi et mes frères. Il ne s'était pas risqué à choisir entre une de ses cinq femmes pour jouer les représentantes, ne voulant pas faire de jalouse. Bientôt, un domestique nous accueillait.
En entrant, je le vis tout de suite. Ce gamin à l'écart avec ses cheveux blancs comme la neige et sa frange qui cachait ses yeux. Il avait la peau très claier, on la distinguait à peine de sa chevelure. On aurait dit qu'il se cachait. Je n'écoutais pas le charabia des adultes avec leurs histoires de renouvellement de pacte, je regardais juste ce gosse. Kyes, dans un élan de sociabilité, avança vers lui et la jeune fille qui était à côté de lui.

" Bonjour, je m'appelle Kyes, et vous ?
- Salut ! Je suis Ludmilla et voici mon frère Vladimir. Il parle pas beaucoup, c'est un grand timide. "

Aussitôt je vis les joues de l'albinos virer au rouge, enfin un peu de couleurs sur cet enfant-fantôme... Cela me fit sortir un rire moqueur, c'était plus fort que moi... Comme mon rire avait attirer l'attention, Kyes se mis en tête de nous présenter, ce qui me retira le sourire des lèvres... Il perdait pas une occasion d'être encombrant.

*******

Le repas était interminable ! Kyes et Ludmilla parlaient et tentaient de décrocher un mot à Erwann et Vladimir... Moi, j'avais réussi à me faire oublier. Puis, Kyes savait très bien que si je le voulais, je pouvais gâcher toute la réunion alors il se tenait à carreaux et acceptait de me laisser faire l'asocial. Quant à Xennos, on en était au stade où on le pensait attardé. 7 ans et monsieur ne parle qu'occasionnellement pour dire trop peu de choses. De toute façon, tout le monde s'en foutais de lui, ce sale gosse il devait pas être là. Mais bon, Kyes s'obstinait à vouloir essayer de l'intégrer, qu'elle bêtise ! Parfois, je regardais le jeune albinos. Il n'avait vraiment pas l'air à l'aise... ça faisait de la peine. J'avais pitié de lui, mais pas la pitié positive, non, la pitié proche du dégoût. Il avait l'air tellement minable ! S'il le voulait, j'étais sûr qu'il serait devenu invisible ! Puis, sa mère qui le reprenait sur sa position à table et sa façon de manger... Pour le coup, c'était elle que je trouvais ridicule... Toutes ces manières que font les riches, c'est tellement stupide.

*******

Pendant l'après midi, les adultes nous ont dis d'aller jouer dans notre coin. Ayant laissé les autres de leur côté, je me baladais un peu dans le manoir, regardant autour de moi.

Ils parlent de toi.
Qui ?
Les adultes ! Et c'est pas joli-joli ... En même temps, quand on parle de toi, y'a rien de beau à dire.
J'ai pas dis que je voulais pas t'entendre ? Puis t'en sais quoi ?
T'as qu'à aller vérifiée par toi-même ! A moins que tu sois trop froussard pour aller écouter les adultes.

Une fois encore, cette voix avait eu raison de moi. Sans avoir le temps de réfléchir, je me retrouvais à épier les adultes et à les écouter. Hasard ou voix divines, ils parlaient bien de nous. Notre père racontait des choses méchantes sur nous tandis que le papa Swain parlait de ses méfiances envers son jeunes fils Vladimir.

" Parfois, j'ai du mal à croire qu'il soit un Swain, il est si faible... Si misérable et froussard... Franchement, il me fait honte ! J'espère que ça s'arrangera en grandissant, si non...
- Si non tu risque d'avoir du mal à l'utiliser...
- Au moins, une chose est sûre, j'aurais aucun regret à le donner à ancêtre Sergei... "

Terrifié, je m'éloignais de la porte, entendant encore en bruit de fond le rire de mon père. Je n'avais pas tout saisi mais avec le recul, je savais ce que cela signifiait. Je connaissais le destin réservé à Vladimir par sa famille depuis mes neufs ans... Et je ne lui avait rien dit. En reprenant ma promenade dans les couloirs, je l'avais croisé, assit seul dans les escaliers avec un livre pour enfants made in Swain, le genre de truc bien sanglant et glauque pour des gosses... Mais bon, le sanglant et glauque, c'était déjà mon quotidien dans la partie humaine de ma vie... Je me souviens l'avoir regardé fixement en éprouvant une peine immense que je ne m'expliquais pas... Comment pouvais-je avoir de la compassion pour lui ? Il vivait dans ce beau et riche manoir alors que nous étions dans la misère ! Mon père était trop fier pour en parler à son pote le riche et préférait faire croire qu'on vivait aussi dans le luxe, mais la maison tenait à peine debout, on avait à peine de quoi se nourrir et des gens s'amusaient à passer devant notre maison pour se faire peur ou pour lancer des oeufs ou faire des tags dégradants... Les Swain avaient une couverture parfaite alors que nous, Akuro, autant chez les humains que chez les démons, on étaient crains. La seule différence était que les humains nous haïssaient et les démons, au contraire, nous adorait. Comment pouvais-je avoir ne serait-ce que l'ombre d'une compassion pour ce sale gosse de riche ?

Tout simplement... Je savais qu'on le condamnait à disparaître. A ne plus être lui. Qu'on allait lui voler son corps pour le donner à un autre... Au fond, sa famille ne le voyait que comme un objet... Et ça, je pouvais le comprendre d'une certaine façon. Ce fut en soit cela qui me rapprocha de Vladimir et qui me fit me dire... Un jour... On partira tous les deux. Loin de la misère, loin de nos noms. On ne sera plus Swain ou Akuro... On sera nous.

Tss! Tellement ridicule quand j'y repense ! J'étais un gamin pathétique. Mais, avec tout ce qui m'est arrivé par la suite... Enfin, malgré tout cela, cette pensée reste dans un coin de ma tête. Et si c'était possible ? Oh bien sûr, je préfère crever que de l'admettre.

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